Appel au boycott de produits israéliens : incitation à la discrimination économique ou liberté d’expression ?
La liberté d’expression est garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en son article 10, paragraphe 1. Le paragraphe 2 prévoit la possibilité de limiter l’exercice de ce droit, lorsque ces « restrictions ou sanctions prévues par la loi (…) constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (…) à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (…) ». Selon la Cour européenne des droits de l’homme, ont trait à un intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien‑être des citoyens ou la vie de la collectivité. Tel est également le cas des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important, ou qui ont trait à un problème dont le public aurait un intérêt à être informé[1].
L’affaire Baldassi et autres c/ France[2] a donné l’occasion à la Cour de Strasbourg de se prononcer sur le rapport entre liberté d’expression telle que consacrée par la Convention, et appel au boycott. Une campagne internationale dénommée « Boycott, Désinvestissement et Sanctions » (« BDS ») a en effet été initiée le 9 juillet 2005 par un appel émanant d’organisations non‑gouvernementales palestiniennes, un an après l’avis rendu par la Cour internationale de Justice selon lequel « l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international »[3]. En 2009 et 2010, des membres de ce collectif ont participé en France à des opérations d’appel au boycott de produits en provenance d’Israël. En 2015, la Cour de cassation française a confirmé la condamnation de ces participants pour incitation à la discrimination économique à raison de l’appartenance à une nation ; mais dans son arrêt Baldassi du 11 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé, à l’unanimité, que cette condamnation était constitutive d’une violation de l’article 10 de la Convention.
Pour ne pas se méprendre sur le sens de cette décision, il convient de rappeler comment est appréhendé, en droit français, l’appel au boycott de produits en provenance d’Israël. Ce contexte étant présenté, la portée de l’arrêt Baldassi sera ensuite exposée, ainsi que sa réception par les autorités françaises.
Le traitement juridique français de l’appel au boycott de produits importés d’Israël
En France, comme le rappelle le Défenseur des droits[4], l’appel au boycott de produits israéliens est susceptible de recevoir deux qualifications pénales en matière de discrimination. D’une part, « l’entrave à l’exercice normal d’une activité économique quelconque » à raison de l’appartenance, vraie ou supposée, à une nation, est prohibée par l’article 225‑2, 2° du code pénal. Par cette incrimination, issue de la loi n° 77‑574 du 4 juin 1977, le législateur entendait lutter contre les pratiques de boycott économique dans le commerce international inspirées par des raisons politiques. Dès lors que le texte ne vise aucun comportement précis, le délit d’entrave à l’exercice normal d’une activité économique quelconque doit s’entendre comme « le fait non pas d’empêcher, mais de rendre plus difficile l’exercice par un professionnel d’une activité concourant à la production, à la distribution ou à la consommation des richesses au moyen d’un dénigrement particulier ou de pression diverses sur des clients potentiels »[5]. Cette analyse est identique à celle effectuée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 28 septembre 2004[6].
D’autre part, l’appel au boycott de produits importés d’un pays est sanctionné par les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui incriminent la provocation à la discrimination à raison de l’appartenance à une nation. En particulier, l’article 24 alinéa 8 prévoit que « Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination (…) à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison (…) de leur appartenance (…) à une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement. » Cette loi, modifiée à plusieurs reprises, n’en a pas pour autant perdu sa force ni son actualité.
Outre ce corpus législatif, les ministres de la Justice français ont donné, depuis 2010, pour instruction aux procureurs d’avoir recours à des lois contre la discrimination pour poursuivre les militants du mouvement BDS. Par une circulaire du 12 février 2010[7], la ministre de la Justice, Michèle Alliot‑Marie, avait en effet indiqué que tout appel au boycott des produits d’un État était susceptible de constituer une infraction de « provocation publique à la discrimination » et avait demandé à cette occasion aux procureurs de la République d’assurer une répression « ferme et cohérente » de ces agissements. Elle appelait ainsi les procureurs à poursuivre systématiquement et spécifiquement les appels au boycott de produits israéliens. Cette circulaire a été complétée et précisée par une circulaire de son successeur, Michel Mercier, datée du 15 mai 2012[8].
Ce faisant, les autorités françaises ont fait figure de précurseurs dans la criminalisation des militants du mouvement BDS : d’autres pays ont à leur tour adopté des mesures similaires, la plupart du temps dotées, toutefois, d’une portée purement déclarative et non normative, comme en Allemagne en 2019 où le Parlement a adopté une résolution qualifiant le mouvement BDS d’antisémite ; de même qu’en Espagne ou au Royaume‑Uni.
L’appel au boycott, « modalité d’expression d’opinions protestataires » selon la Cour européenne des droits de l’homme
Dans l’affaire Baldassi et autres, les requérants faisaient partie du « Collectif Palestine 68 » qui relaie localement la campagne BDS. En 2009 et en mai 2010, ils ont exposé, à l’intérieur d’un hypermarché, des produits qu’ils estimaient être d’origine israélienne dans trois caddies placés à la vue des clients, et distribué des tracts. En 2010, ils avaient en outre présenté une pétition à la signature des clients de l’hypermarché invitant celui‑ci à ne plus mettre en vente des produits importés d’Israël.
Le procureur de la République de Colmar a cité les requérants à comparaître devant le tribunal correctionnel de Mulhouse, notamment pour avoir provoqué à la discrimination à raison de l’origine et de l’appartenance d’un groupe de personnes, délit prévu par l’article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881. Par deux jugements du 15 décembre 2011, le tribunal correctionnel de Mulhouse a relaxé les requérants. Mais en 2013[9], la Cour d’appel de Colmar a infirmé ces jugements de relaxe et déclaré les requérants coupables du délit de provocation à la discrimination. Appliquant un arrêt récent de la Cour de cassation[10], la Cour d’appel a estimé que, par leur action, les requérants avaient provoqué à discriminer les produits venant d’Israël, incitant les clients à ne pas acheter ces marchandises en raison de l’origine des producteurs et fournisseurs, lesquels, constituant un groupe de personnes, appartiennent à une nation déterminée, en l’espèce Israël, qui constitue une nation au sens de l’article d’incrimination et du droit international. De plus, selon la Cour d’appel, la provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d’opinion et d’expression dès lors qu’elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l’incitation à opérer une différence de traitement à l’égard d’une catégorie de personnes – en l’occurrence, les producteurs de biens installés en Israël.
Par deux arrêts du 20 octobre 2015[11], la Chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé le raisonnement de la Cour d’appel qui avait relevé, « à bon droit », que les éléments constitutifs du délit prévu par l’article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 étaient réunis, et que l’exercice de la liberté d’expression, proclamée par l’article 10 de la Convention, pouvait être, en application du second alinéa de ce texte, soumis à des restrictions ou sanctions constituant, comme en l’espèce, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui.
Les requérants ont alors porté leur affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. Celle‑ci n’avait eu que rarement l’occasion d’examiner la question de la compatibilité d’un appel au boycott avec l’article 10 de la Convention, et notamment dans l’affaire Willem c/ France précitée. L’arrêt Baldassi constitue une première en ce que la Cour a qualifié le boycott de « modalité d’expression d’opinions protestataires », tout en rappelant les limites à ne pas dépasser dans le cadre de l’article 10. Dans son analyse de la nécessité de l’ingérence (constituée ici par la condamnation des requérants), la Cour a procédé en trois étapes.
i) La Cour a tout d’abord écarté le caractère de précédent de l’arrêt Willem où elle avait conclu à la non‑violation de l’article 10 de la Convention, après avoir constaté que le requérant n’avait pas été condamné pour ses opinions politiques mais pour une incitation à un acte discriminatoire. En revanche, dans l’affaire Baldassi, les requérants sont de simples citoyens, qui ne sont pas astreints aux devoirs et responsabilités rattachés au mandat de maire, et dont l’influence sur les consommateurs n’est pas comparable à celle d’un maire sur les services de sa commune ; et c’est manifestement pour provoquer ou stimuler le débat parmi les consommateurs des supermarchés que les requérants ont mené les actions d’appel au boycott qui leur ont valu les poursuites qu’ils dénoncent devant la Cour.
ii) Après avoir posé que l’article 10 de la Convention « ne laiss[ait] guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général[12]. Par nature, le discours politique est souvent virulent et source de polémiques. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance », la Cour a insisté sur le fait que les requérants n’avaient été condamnés ni pour avoir proféré des propos racistes ou antisémites ou pour avoir appelé à la haine ou à la violence, ni pour s’être montrés violents ou pour avoir causé des dégâts. Ainsi, selon la Cour, l’appel au boycott de produits, en l’occurrence provenant de l’État d’Israël, ne peut constituer une infraction que si sont dument constatés des actes ou des propos racistes, antisémites ou violents qui feraient « dégénérer » l’appel au boycott[13]. En France, les propos racistes ou antisémites sont interdits par la loi et punis en fonction de leur gravité ; lorsqu’ils sont tenus publiquement, les peines sont plus sévères. L’article 132‑76 du code pénal définit la circonstance aggravante de racisme ou d’antisémitisme : « Les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l’infraction est commise à raison de l’appartenance ou de la non‑appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. » Et plus spécialement, c’est encore la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui définit plusieurs infractions réprimant la tenue de propos racistes ou antisémites.
iii) Sans mettre en cause l’interprétation de la loi sur laquelle repose la condamnation des requérants, à savoir l’incitation à la discrimination économique, la Cour a enfin examiné la motivation par laquelle les juridictions françaises avaient condamné les requérants. Elle a relevé que tel qu’interprété et appliqué en l’espèce, le droit français interdit tout appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique, quels que soient la teneur de cet appel, ses motifs et les circonstances dans lequel il s’inscrit. Or, statuant sur ce fondement juridique, le juge interne n’a pas procédé à une motivation circonstanciée qui était pourtant d’autant plus essentielle en l’espèce qu’on se trouve dans un cas où l’article 10 de la Convention exige un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression (§ 78). En effet, d’une part, « les actions et les propos reprochés aux requérants concernaient un sujet d’intérêt général, celui du respect du droit international public par l’État d’Israël et de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, et s’inscrivaient dans un débat contemporain, ouvert en France comme dans toute la communauté internationale » ; d’autre part, ces actions et ces propos « relevaient de l’expression politique et militante[14] »[15]. La Cour en a déduit que la condamnation des requérants ne reposait pas sur des motifs pertinents et suffisants, par une application des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et fondés sur une appréciation acceptable des faits. Elle a conclu qu’il y avait eu violation de l’article 10 de la Convention.
En résumé, la Cour européenne des droits de l’homme pose, dans l’arrêt Baldassi, que l’appel au boycott appartient au discours politique et militant et que le juge doit procéder à un contrôle rigoureux de la nécessité de l’ingérence en démontrant, au regard du contexte, en quoi les limites admissibles de la liberté d’expression ont été franchies.
C’est en application de cette jurisprudence qu’a été édictée la « dépêche », qui est en réalité une circulaire[16], du 20 octobre 2020 par l’actuel ministre de la Justice français, Eric Dupont‑Moretti, relative à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens qui appelle les procureurs et les tribunaux à mettre en œuvre cette répression. Selon le ministre, la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, « qui s’avère protectrice de la liberté d’expression militante en ce qu’elle autorise l’appel au boycott politique, ne remet toutefois pas en cause les fondements juridiques de la répression dès lors qu’est caractérisé un appel à la discrimination ». Tirant les conséquences de l’arrêt du 11 juin 2020, le ministre de la Justice a insisté sur « l’exigence de rigueur quant à la caractérisation des faits en cause. Les parquets ne devront engager des poursuites que lorsque les faits, considérés in concreto, caractérisent un appel à la haine ou à la discrimination et non une simple action politique. Il conviendra de vérifier dans chaque espèce, en quoi, sur les plans matériel et intentionnel, la teneur de l’appel au boycott en cause, ses motifs et les circonstances dans lesquelles il s’inscrivait, caractérise le délit de provocation publique à la discrimination et de justifier ainsi l’atteinte portée à la liberté d’expression politique et militante. Le caractère antisémite de l’appel au boycott pourra résulter directement des paroles, gestes et écrits du mis en cause. Il pourra également se déduire du contexte de ceux‑ci. Le représentant du ministère public devra insister sur les exigences de la Cour européenne et la réunion de l’ensemble de ces critères lors de ses réquisitions à l’audience ». Cette analyse a été réitérée par le ministère de la Justice dans une réponse écrite du 16 mars 2021 à la question d’un député sur ce point, le ministère confirmant à cette occasion le bien‑fondé des circulaires de 2010 et 2012[17].
Certains commentateurs, par une lecture rapide de cette circulaire, y ont vu le refus pur et simple des autorités françaises de se conformer à la solution rendue par le juge européen, en maintenant coûte que coûte les fondements juridiques français de la répression de l’appel au boycott de produits israéliens. Mais bien au contraire, à notre sens, le ministère de la Justice a parfaitement saisi la portée de l’arrêt Baldassi, qui autorise les autorités françaises à condamner des appels au boycott sur le fondement de l’article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 tant que le juge interne a suffisamment motivé sa décision, c'est‑à‑dire expliqué en quoi les circonstances concrètes de l’affaire en cause lui permettent d’apporter une restriction à la liberté d’expression en condamnant l’appel au boycott sur le fondement de cette loi.
Conclusion
Les échanges entre les juridictions et autorités françaises et la Cour européenne des droits de l’homme illustrent finalement la différence de l’appréhension juridique de la liberté d’expression entre Paris et Strasbourg[18]. Bien qu’elle remplisse « une fonction politique majeure »[19], « la liberté d’expression est rarement présentée comme une liberté du citoyen dans la vie publique »[20]. Ce constat se vérifie en droit administratif français, où la liberté d’expression est étudiée à travers le prisme de la liberté individuelle ou de la liberté individuelle exercée collectivement[21]. Cet attachement au lexique des libertés individuelles a conduit le juge administratif français à ne jamais assimiler la liberté d’expression à une liberté politique, quand bien même ce dernier manifestait un souci particulièrement révélateur à protéger la liberté d’expression[22]. Comme on l’a vu, la Cour européenne des droits de l’homme a été plus explicite en reconnaissant clairement que la liberté d’expression constituait une liberté politique dans la mesure où le degré de protection d’une expression publique était plus ou moins conditionné à la participation de cette dernière à un débat d’intérêt général.
À la différence du juge administratif, la Cour européenne des droits de l’homme traite la liberté d’expression sur un plan matériel, en fonction des fins politiques ou d’intérêt général qu’elle poursuit, et non sur le plan formel que lui prête le juge administratif, à savoir l’existence d’une expression et d’un caractère collectif. Pour bâtir sa jurisprudence, la Cour de Strasbourg se livre à une dissociation de l’individu selon que ce dernier se positionne en Homme ou en Citoyen. C’est moins au message qu’au débat dans lequel ce dernier s’inscrit que la Cour prête un caractère d’intérêt général.
Dans ce cadre, la circulaire du 20 octobre 2020 peut s’interpréter comme la manifestation de l’application rigoureuse du droit conventionnel par un État qui ne renonce pas, pour autant, à son objectif de lutte contre la provocation à la discrimination économique, notamment à l’égard de produits israéliens. Grâce à l’arrêt Baldassi et sa réception par les autorités françaises, la différence d’appréhension de la liberté d’expression entre Paris et Strasbourg s’estompe ainsi et permet une synthèse harmonieuse et surtout efficace de ces deux approches.
Article publié dans le numéro 67 de la revue Justice publiée par l'IJL (International Association of Jewish Lawyers and Jurists), Automne‑Hiver 2021.
[1] CEDH [GC], 27 juin 2017, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c/ Finlande, n° 931/13, § 171.
[2] CEDH, 11 juin 2020, Baldassi et autres c/ France, n 15271/16, 15280/16, 15282/16, 15286/16, 15724/16, 15842/16 et 16207/16.
[3] CIJ, Avis consultatif du 9 juillet 2004, Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, Recueil 2004, p. 136.
[4] Défenseur des Droits, délibération n° 2009‑384 du 30 novembre 2009.
[5] Cour d’appel de Paris, 16 juin 2008.
[6] Cass. Crim. 28 septembre 2004, n° 03-87.450 : M. Willem, maire de la commune de Séclin, avait annoncé son intention de demander aux services de restauration de la commune de ne plus acheter de produits en provenance de l'État d'Israël. Ce faisant, selon les juridictions françaises, il a incité ceux‑ci à tenir compte de l'origine de ces produits et, par suite, à entraver l'exercice de l'activité économique des producteurs israéliens, cet appel au boycott étant fait en raison de leur appartenance à la nation israélienne. Saisie de cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme avait d’ailleurs estimé qu’une telle condamnation était compatible avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 16 juillet 2009, Willem c/ France, n° 10883/05).
[7] Circulaire du Ministère de la Justice du 12 février 2010 adressée aux procureurs généraux près les cours d’appel, référence : CRIM‑AP n° 09‑900‑A4.
[8] Circulaire du Ministère de la Justice du 15 mai 2012, référence : CRIM‑AP n° 2012‑034‑A4.
[9] Cour d’appel de Colmar, 27 novembre 2013, n° 01122 et 01129 (deux arrêts).
[10] Cass. Crim., 22 mai 2012, n° 10-88.315 : la diffusion de propos tendant à ne plus acheter de produits en provenance de l'État d'Israël, afin de protester contre la politique du gouvernement de ce pays à l'encontre du peuple palestinien incite à tenir compte de l'origine de ces produits et, par suite, constitue le délit de provocation à la discrimination raciale puni et réprimé par l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
[11] Cass. Crim. 20 octobre 2015, n° 14-80.020 et 14-80.021 (deux arrêts).
[12] CEDH, 23 avril 1992, Castells c/ Espagne, § 43 ; CEDH, 25 novembre 1996, Wingrove c/ Royaume‑Uni, § 58.
[13] Cette position était d’ailleurs déjà celle des plus hautes juridictions des États‑Unis, de la Grande‑Bretagne ou de l’Allemagne qui ont reconnu un droit aux citoyens à promouvoir et à pratiquer le boycott des produits originaires d’un État ou d’un groupe de personnes dont la politique ou les pratiques sont critiquées au nom des droits de l’homme ou du droit international.
[15] À cet égard, la Cour cite le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction, lequel avait rappelé, lors de l’Assemblée générale de l’ONU du 20 septembre 2019 (A/74/358), qu’« en droit international, le boycottage est considéré comme une forme légitime d’expression politique, et que les manifestations non violentes de soutien aux boycotts relèvent, de manière générale, de la liberté d’expression légitime qu’il convient de protéger ».
[16] Circulaire du Ministère de la Justice du 20 octobre 2020 relative à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens, référence : DP 2020/0065/A4BIS.
[17] Réponse publiée au Journal officiel de l’Assemblée nationale du 16 mars 2021, sur une question écrite n° 35917 de M. Pierre Dharréville publiée au même Journal officiel du 2 février 2021.
[18] Je renvoie ici à l’analyse de David Rivière, « Les rapports entre liberté politique et liberté d’expression. Enjeu de l’introduction du principe de proportionnalité dans la mise en œuvre de l’ordre public immatériel », Droit et société 2016/3 (n° 94), pages 581 à 602.
[19] Jacques Petit, « Les ordonnances Dieudonné : séparer le bon grain de l’ivraie », Actualité juridique du Droit administratif (AJDA), 15, 2014, p. 866. Dans le même sens, selon Guy Carcassonne, « la liberté d’expression est toute pétrie de politique » (in « Les interdits et la liberté d’expression », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 3, 2012.
[20] Michel Verpeaux, « La liberté d’expression dans la jurisprudence constitutionnelle », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 1, 2012. Cette dissonance est ancienne car elle apparaît déjà dans la rédaction de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme » et « tout citoyen peut parler, écrire ou imprimer librement » (nous soulignons).
[21] Boris Bernabé, « Quelle(s) liberté(s) d’expression avant 1881 ? », RDP, 3, 2012. Cette unification lexicale autour des libertés individuelles a ensuite été confirmée par l’émergence de cette sphère unique des libertés publiques qui interdit, de fait, toute opposition conceptuelle entre libertés individuelles et libertés politiques. Olivier Beaud rappelle ainsi que, du point de vue des libertés publiques, la liberté d’expression « n’a en principe pas de pertinence dans une analyse de la citoyenneté » (« La liberté d’expression, face méconnue de la citoyenneté en démocratie », in « La démocratie, du crépuscule à l’aube ? », colloque, juin 2013, Nanterre).
[22] Cf. Bernard Stirn, « Le juge administratif et les restrictions à la liberté d’expression », Revue française de droit administratif (RFDA), 6, 2003.